Section 7
Vieillissement

Avertissement

  • Il ne convient pas de restreindre la conduite uniquement en raison de l’âge d’une personne.
  • Cette section suggère des ressources pour aider les médecins à détecter et à évaluer des maladies cachées ou l’effet de comorbidités multiples chez les conducteurs et conductrices d’un certain âge.

7.1 Aperçu

La plupart des problèmes de santé énumérés dans le présent guide qui ont un effet sur la conduite automobile sont plus prévalents chez les personnes âgées. Ce groupe d’âge peut être impliqué dans des accidents parce qu’il a de nombreux problèmes de santé ou qu’il prend des médicaments qui diminuent ses capacités fonctionnelles.

Malheureusement, l’examen physique type n’évalue pas directement les compétences fonctionnelles telles que l’aptitude à conduire. Au mieux, il permet aux médecins de détecter des problèmes de santé et d’en évaluer la gravité et les complications qui en découlent pour mieux juger leurs effets sur les capacités fonctionnelles, comme l’aptitude à conduire.

Malgré les limites de l’examen physique type décrites ci-dessus, la plupart des provinces et des territoires du Canada exigent que les médecins signalent les personnes dont les problèmes de santé peuvent les rendre inaptes à conduire (voir la section 3, Déclaration — quand et pourquoi). Même lorsqu’un tel signalement n’est pas obligatoire, les médecins peuvent être tenus responsables s’elles et ils omettent de signaler une personne qui, par la suite, cause des préjudices à autrui en raison d’un trouble médical qui a un effet sur son aptitude à conduire.

Les taux de morbidité et de mortalité lors des accidents de la route sont plus élevés chez les personnes âgées que chez les jeunes (Transports Canada, 2022). Des évaluations précises de l’aptitude à conduire permettent aux médecins d’aider leur patientèle à éviter les blessures invalidantes, voire mortelles. Ces évaluations peuvent aussi aider la patientèle et sa famille à éviter la douleur et les répercussions juridiques qui découleraient d’un accident causé par une personne responsable des blessures ou de la mort d’autres usagers et usagères de la route ou de passantes et passants. L’évaluation de l’aptitude à conduire représente ainsi une forme de soins de santé préventifs qui profite non seulement à la patientèle, mais aussi à l’ensemble de la population. La réalité est que même si les médecins ne peuvent pas évaluer tous les aspects de l’aptitude à conduire, elles et ils peuvent contribuer grandement à cette évaluation qui permettra d’éviter des traumatismes inutiles à leur patientèle et à la population. Les médecins représentent donc une partie importante de la solution, mais il est irréaliste de s’attendre à ce qu’elles et ils soient en mesure de détecter toutes les situations affectant l’aptitude à conduire. Il convient également de noter que ce ne sont pas les médecins qui déterminent le statut du permis. Elles et ils fournissent des données précises, opportunes et pertinentes aux bureaux des véhicules automobiles, qui prennent les décisions les plus appropriées concernant le permis de conduire.

L’objectif de cette section est d’optimiser la capacité des médecins à remplir ce rôle sociétal important en abordant des situations complexes spécialement liées au vieillissement qui ne sont pas mentionnées dans d’autres sections de ce guide.

7.2 Signaux d’alarme — les 3 R

Les signaux d’alarme suivants devraient déclencher un dépistage et une évaluation de l’aptitude à conduire :

Rapports (antécédents des membres de la famille ou personnes proches aidantes) — déclarations des membres de la famille ou des personnes proches aidantes sur leurs préoccupations relatives à la sécurité au volant (il faut leur demander de préciser), dommages inexpliqués au véhicule de la personne concernée, infractions au code de la route (p. ex., excès de vitesse, contraventions), quasi-accidents ou accidents. Il faut discuter de ces renseignements avec la famille ou les personnes proches aidantes en l’absence du patient ou de la patiente afin qu’elles se sentent à l’aise de communiquer tous les renseignements.

Récents accidents déclarés par la personne (Joseph et coll., 2014).

Restriction de la conduite aux situations moins complexes (Classen et coll., 2013).

7.3 Problèmes médicaux occultes

Une variété de changements liés à l’âge du point de vue sensoriel (p. ex., la vision), des fonctions cognitives (p. ex., la vitesse de traitement de l’information, l’attention, l’exploration visuelle) et de la motricité (p. ex., temps de réaction, force, coordination) peuvent affecter la conduite automobile. Heureusement, les personnes âgées en bonne santé demeurent les personnes les plus prudentes sur la route, car elles adoptent des techniques de conduite compensatoires, du point de vue stratégique (p. ex., planifier quand et où conduire, comme restreindre la conduite aux périodes de circulation et de conditions météorologiques optimales) et du point de vue tactique (p. ex., adopter des stratégies de conduite défensive, comme augmenter la distance entre son véhicule et le véhicule devant soi), et ont à leur actif des années d’expérience de conduite.

Néanmoins, lorsque les conducteurs et conductrices d’âge plus avancé sont aux prises avec des problèmes médicaux, le trouble de santé comme tel ou les médicaments utilisés pour le traiter peuvent avoir un effet négatif sur l’aptitude à conduire. Ce guide fournit une mine d’informations sur la façon de gérer de telles situations.

Il peut cependant se présenter des situations où les médecins ou les membres de la famille ou les deux estiment qu’un patient ou une patiente semble avoir un problème de conduite automobile, sans pouvoir pour autant cerner la cause précise. C’est pourquoi les médecins peuvent avoir de la difficulté à mettre en pratique les recommandations fournies dans d’autres sections de ce guide. Un exemple d’une telle préoccupation serait un changement soudain dans les habitudes de conduite (p. ex., diminution marquée des distances parcourues ou récent évitement de situations de conduite difficiles), qui, selon l’American Academy of Neurology, sont des marqueurs de problèmes potentiels de conduite (Iverson et coll., 2010). Souvent, ces préoccupations découlent de changements liés non pas au vieillissement, mais plutôt à des problèmes de santé cachés qui n’ont pas encore été diagnostiqués. Dans de telles situations, des outils comme le code mnémonique CANDRIVE (figure 1) peuvent aider les médecins à structurer leur analyse des causes pouvant affecter l’aptitude à conduire de la personne concernée. Une fois qu’elles et ils auront déterminé les causes probables, elles et ils pourront consulter les sections les plus pertinentes de ce guide. Le code mnémonique CANDRIVE est similaire, mais plus détaillé (p. ex., expériences dans l’auto) que le code mnémonique SAFEDRIVE qui figurait dans la 7e édition de ce guide. En particulier, le code mnémonique CANDRIVE considère le temps de réaction au plan cognitif et moteur.

Dans les cas où les médecins et les familles s’inquiètent et que l’évaluation selon le code mnémonique CANDRIVE ne révèle pas de domaines médicaux précis sur lesquels les médecins peuvent concentrer leurs compétences diagnostiques et dans les cas où les effets fonctionnels sont trop subtils pour déterminer s’ils représentent un risque important pour l’aptitude à conduire, les médecins devraient envisager la possibilité de diriger leurs patients ou patientes vers des programmes spécialisés d’évaluation de la conduite, dont plusieurs comportent des examens sur route (annexe B).

FIGURE 1 : CANDRIVE, code mnémonique pour l’évaluation de l’aptitude à conduire*
CCognition (Fonctions cognitives)Démence, état confusionnel aigu, dépression, fonctions exécutives, mémoire, jugement, vitesse psychomotrice, attention, temps de réaction et fonction visuospatiale
AAcute or fluctuating illness (Maladie aiguë ou fluctuante)État confusionnel aigu, convulsions, maladie de Parkinson, et syncope ou lipothymie (ischémie cardiaque, arythmie, hypotension orthostatique)
NNeuromusculo-skeletal disease or neurological effects 
(Maladie neuromusculaire ou effets neurologiques)
Vitesse de déplacement, état d’éveil, niveau de conscience, accident vasculaire cérébral, maladie de Parkinson, syncope, hypoglycémie, hyperglycémie, arthrite, arthrose cervicale, et sténose du canal rachidien
DDrugs
(Médicaments) 
Médicaments qui ont un effet sur la fonction cognitive ou l’état d’éveil, tels que les benzodiazépines, les narcotiques, les médicaments anticholinergiques (p. ex., antidépresseurs tricycliques, antipsychotiques, oxybutynine, dimenhydrinate) et les antihistaminiques
RRecord
(Signalement)
Signalement de la part du patient ou de la patiente ou bien de la famille d’accidents automobiles ou d’infractions sur la route
IIn-car experiences
(Expériences vécues au volant)
Descriptions de la part de patientes et patients ou de la famille d’accidents évités de justesse, de dommages inexpliqués à la voiture, de changement dans les compétences de conduite, de perte de confiance ou d’autorestriction, d’égarement pendant la conduite, de refus de la part d’autres personnes de se faire conduire par le patient ou la patiente, du besoin d’aide d’un navigateur ou d’une navigatrice (le besoin de repères pour éviter les situations dangereuses qui pourraient entraîner un accident serait particulièrement préoccupant), et d’autres conducteurs et conductrices devant conduire prudemment pour s’adapter aux changements dans l’aptitude à conduire du patient ou de la patiente
VVision
(Vision)
Acuité, anomalies du champ visuel, éblouissement, sensibilité au contraste, à l’aise pour conduire le soir
EEthanol use (Consommation d’alcool)Opinion du médecin à savoir si l’utilisation d’alcool est excessive et si le patient en consomme avant de conduire
**Reproduit avec l’autorisation de Molnar FJ, Byszewski AM, Marshall SC, Man-Son-Hing M. In-office evaluation of medical fitness-to-drive. Practical approaches for assessing older people. Can Fam Physician. 2005;51(3):372-9 (https://www.cfp.ca/content/cfp/51/3/372.full.pdf).

7.4 Comorbidités multiples

Souvent, la question n’est pas que les problèmes médicaux sont cachés, mais plutôt, qu’il y a trop de problèmes de santé à évaluer en rapport à l’aptitude à conduire. Encore une fois, il peut être déraisonnable de s’attendre à ce que des médecins qui n’ont jamais reçu de formation directement pour évaluer la capacité fonctionnelle soient en mesure de déterminer si une personne est apte à conduire quand cette dernière est aux prises avec de multiples comorbidités qui peuvent interagir (parfois de façon synergique).

Pour les cas complexes de cette nature, les médecins peuvent commencer leur évaluation par des listes générales, telles que le code mnémonique CANDRIVE (figure 1). En présence de comorbidités multiples, la principale limitation de ces listes, c’est qu’elles ne donnent pas d’indications sur le séquençage d’évaluations complexes.

Molnar et Simpson (2010) décrivent une approche complémentaire à l’évaluation des personnes ayant de multiples comorbidités, qui est basée sur le classement des problèmes médicaux d’une personne selon qu’ils sont « aigus intermittents » et « chroniques persistants ». Les troubles aigus intermittents (appelés « troubles limites liés à des problèmes de santé épisodiques » dans la section 2, Évaluation fonctionnelle — importance croissante, et « maladies aiguës ou fluctuantes » dans le code mnémonique CANDRIVE) sont des problèmes de santé qui peuvent rendre soudainement inapte un conducteur ou une conductrice normalement à faible risque. Ces problèmes de santé (p. ex., syncope, convulsions) peuvent provoquer des changements soudains de la fonction cognitive ou du niveau de conscience, ou des deux, mais sont moins susceptibles d’être détectés par un examen clinique, parce qu’ils ne sont pas présents la plupart du temps. La décision concernant le moment où une personne peut reprendre le volant après la survenue de l’un de ces épisodes est basée sur la probabilité de récidive (voir la Formule de la Société canadienne de cardiologie en matière d’analyse du risque de préjudice à l’annexe C). Les troubles chroniques persistants, appelés « limitations permanentes » dans la section 2, Évaluation fonctionnelle — importance croissante, sont des problèmes médicaux qui sont présents à tout moment et peuvent être détectés en examinant la personne concernée et en lui faisant subir des tests. Les troubles aigus intermittents et les troubles chroniques persistants sont examinés plus en détail dans d’autres sections de ce guide.

Un moyen efficace d’utiliser cette classification par catégorie est de décider avant tout quand la personne peut reprendre le volant en tenant compte des troubles aigus intermittents dont elle est atteinte (p. ex., infarctus du myocarde, arythmie traitée avec défibrillateur cardioverteur implantable, convulsions). Cela donnera au patient ou à la patiente le temps de récupérer de tout problème de santé apparemment persistant qui pourrait en fait avoir un degré de réversibilité (p. ex., état confusionnel aigu, hypotension orthostatique, accident vasculaire cérébral, traumatisme crânien, apnée du sommeil). À ce moment, les médecins peuvent évaluer plus précisément les problèmes médicaux chroniques persistants et irréversibles (p. ex., la démence). Le lectorat qui souhaite voir un exemple de la façon d’utiliser cette approche peut consulter l’article de Molnar et Simpson.

Si utiles soient les approches mentionnées ci-dessus, il faut aussi que les provinces et territoires financent des programmes de formation continue portant sur l’évaluation de l’aptitude à conduire, comme le suggèrent Dow et Jacques (2012). Pour que ces programmes attirent un grand nombre de médecins, il faudrait envisager qu’ils donnent droit à des crédits de formation continue émis par le Collège des médecins de famille et le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada.

Pour en savoir davantage sur l’évaluation de l’aptitude à conduire des personnes âgées, consultez le Canadian Geriatrics Society Journal of CME (https://www.geriatricsjournal.ca/).


Références

Classen S, Wang Y, Crizzle AM, Winter SM, Lanford DM. Gender differences among older drivers in a comprehensive driving evaluation. Accid Anal Prev. 2013;61:146-52.

Dow J, Jacques A. Educating doctors on evaluation of fitness to drive: impact of a case- based workshop. J Contin Educ Health Prof. 2012;32(1):68-73.

Iverson DJ, Gronseth GS, Reger MA, Classen S, Dubinsky RM, Rizzo M. Practice parameter update: evaluation and management of driving risk in dementia: report of the Quality Standards Subcommittee of the American Academy of Neurology. Neurology. 2010;74(16):1316-24.

Joseph PG, O’Donnell MJ, Teo KK, Gao P, Anderson C, Probstfield JL, et al. The Mini-Mental State Examination, clinical factors, and motor vehicle crash risk. J Am Geriatr Soc. 2014;62(8):1419-26.

Molnar FJ, Simpson CS. Approach to assessing fitness to drive in patients with cardiac and cognitive conditions. Can Fam Physician. 2010;56(11):1123-9.

Transport Canada. Canadian motor vehicle traffic collision statistics: 2020. Ottawa (ON): Transport Canada; 2022. Accessible ici : https://tc.canada.ca/en/road-transportation/statistics-data/canadian-motor-vehicle-traffic-collision-statistics-2020 (consulté le 14 juill. 2022).


Autres ressources

Canadian Association of Occupational Therapists. National blueprint for injury prevention in older drivers. Ottawa (ON): CAOT Publications ACE; 2009. Accessible ici : https://www.caot.ca/document/5639/National%20Blueprint%20for%20Injury%20Prevention%20in%20Older%20Drivers.pdf (consulté le 10 août 2022). Ce document présente une vsion et identifie des orientations d’action pour promouvoir la conduite sécuritaire chez les conducteurs âgés et les conducteures âgées au Canada.

Canadian Association of Occupational Therapists. Driving and community mobility [site Web]. Ottawa (ON): The Association; 2016. Accessible ici : https://caot.in1touch.org/site/pt/resources/driving?nav=sidebar (consulté le 10 août 2022).

Canadian Association of Occupational Therapists. Find an occupational therapist [site Web]. Ottawa (ON): The Association; 2016. Accessible ici : https://www.caot.ca/site/findot (consulté le 10 août 2022).

Carr DB, Schwartzberg JG, Manning L, Sempek J. Chapter 3: Assessing functional ability. In: Physician's guide to assessing and counseling older drivers. 2nd ed. Chicago (IL): American Medical Association; National Highway Traffic Safety Administration (US); 2010. p. 19-30. Accessible ici : https://ami.group.uq.edu.au/files/155/physicians_guide_assessing_older_adult_drivers.pdf (consulté le 10 août 2022).