Section 9
Troubles du sommeil

Avertissement

  • Si les médecins croient qu’une personne est susceptible de constituer un risque au volant en raison d’un trouble du sommeil symptomatique et qu’elle refuse de se soumettre à une étude du sommeil ou à un traitement approprié, elle ne doit alors conduire aucun véhicule à moteur.

9.1 Aperçu

La somnolence et la baisse de vigilance qui en découle sont une cause importante d’erreurs de conduite et d’accidents de la route. La somnolence peut être attribuable à des habitudes de vie, à un trouble du sommeil, ou aux deux.

Dans la 3e édition de la Classification internationale des troubles du sommeil (American Academy of Sleep Medicine, 2014), six catégories de troubles du sommeil sont décrites : les insomnies, les troubles du sommeil en relation avec la respiration, les troubles d’hypersomnie idiopathique (dysfonctionnement du système nerveux central), les troubles du rythme circadien sommeil–éveil, la parasomnie et la dyskinésie associée au sommeil.

Les recommandations qui suivent portent principalement sur l’apnée obstructive du sommeil (AOS) et la narcolepsie, les deux troubles du sommeil que l’on a liés assez clairement au risque d’accident de la route.

9.2 Évaluation

Il faut interroger de façon approfondie les personnes qui font état d’une somnolence excessive au sujet de la qualité et de la régularité de leur cycle sommeil–éveil, car on peut atténuer les symptômes et réduire le risque au volant en portant attention à cet aspect.

Voici certains des facteurs de risque d’accident liés au sommeil :

  • fait d’occuper plusieurs emplois
  • travail de nuit
  • conduite de nuit (entre minuit et 6 h)
  • moins de six heures de sommeil la nuit
  • conduite pendant de longues périodes ou après plus de 15 heures d’éveil
  • antécédents de conduite avec somnolence
  • somnolence diurne
  • accident de la route récent (moins d’un an) avec responsabilité

Les personnes qui ont divers troubles du sommeil peuvent aussi présenter un ou plusieurs de ces facteurs de risque et, par conséquent, des niveaux variables de somnolence. Cette variation peut expliquer en partie les différences observées en matière de risque associé à la conduite d’un véhicule automobile. La pertinence et la nécessité d’une intervention médicale dans la prise en charge de ces troubles varient aussi.

Il faut interroger et examiner les personnes aux prises avec une somnolence diurne excessive pour repérer les facteurs de risque suivants d’apnée obstructive du sommeil :

  • ronflement chronique important
  • ronflement et étouffement nocturnes
  • apnée constatée
  • hypertension non contrôlée
  • maladie cardiovasculaire importante
  • maux de tête le matin
  • anomalies craniofaciales (p. ex., macroglossie, rétrognathie)
  • grande circonférence du cou (≥ 43 cm [17 po])
  • obésité

Les hommes et les personnes de plus de 40 ans présentent également un risque accru d’apnée obstructive du sommeil (AOS).

Il faut envisager une étude du sommeil en laboratoire pour les personnes aux prises avec une somnolence excessive et qui présentent un ou plusieurs facteurs de risque d’AOS, ainsi que pour celles qui ont un problème de somnolence persistante et des antécédents correspondant à un autre trouble du sommeil (p. ex., narcolepsie). Lorsque les ressources du laboratoire du sommeil ne sont pas disponibles, on peut utiliser un dispositif de surveillance portatif pour confirmer un diagnostic d’AOS, pourvu que la surveillance soit effectuée et interprétée conformément aux lignes directrices publiées (Blackman et coll., 2010).

9.3 Apnée obstructive du sommeil

L’AOS est caractérisée par une obstruction répétitive des voies respiratoires supérieures pendant le sommeil causant des épisodes répétitifs d’hypoxémie et d’éveil et amenant une perturbation de la structure du sommeil. Le risque relatif d’accidents de la route observé chez les personnes qui présentent une AOS symptomatique est environ deux à trois fois plus grand que celui des groupes témoins (Mulgrew et coll., 2008), le risque d’accident unique ou d’accidents multiples augmentant en fonction de la sévérité de l’apnée du sommeil (Komada et coll., 2009; Gottlieb et coll., 2018). Dans les cas graves d’AOS, le risque d’accident peut même décupler (Arita et coll., 2015). Il demeure toutefois difficile de déterminer le risque individuel parce que la sensibilité à la somnolence, l’utilisation de contre-mesures ou le fait que l’on évite de conduire varient selon l’individu.

Le traitement de l’AOS par une ventilation spontanée en pression positive continue (VSPPC) a réussi à réduire le risque d’accident chez les personnes concernées pour le ramener au même niveau que celui des groupes témoins (George, 2001), particulièrement pour les personnes respectant adéquatement le traitement (Karimi et coll., 2015). Il faut réévaluer les personnes qui utilisent une VSPPC, à l’aide d’un dispositif de mesure de l’utilisation de l’appareil, un à deux mois après le diagnostic. L’efficacité d’une intervention chirurgicale des voies respiratoires supérieures est moins évidente (Haraldsson et coll., 1995; Alkan et coll., 2021), et les personnes qui reçoivent ce traitement peuvent nécessiter une réévaluation du sommeil.

Il est possible de traiter certaines personnes atteintes d’AOS légère en modifiant leur comportement (p. ex., perdre du poids [Ng et coll., 2017], changer de position pour dormir, éliminer l’alcool et les sédatifs avant de dormir), ou en portant des appareils bucaux (Phillips et coll., 2013). Ces interventions peuvent suffire, mais il faut réévaluer les personnes concernées pour déterminer l’efficacité du traitement avant qu’elles recommencent à conduire.

9.3.1 Recommandations sur la conduite à l’intention des personnes atteintes d’AOS

Les recommandations suivantes ne doivent être formulées que lorsque des médecins qui connaissent bien l’interprétation des études sur le sommeil ou des résultats d’un appareil de surveillance portatif ont posé un diagnostic d’AOS.

  • Quelle que soit la gravité de l’apnée, toutes les personnes atteintes d’AOS sont vulnérables à des irrégularités des heures de sommeil et à la somnolence qui en découle. Étant donné l’interaction possible entre la déficience découlant de l’AOS, un sommeil restreint ou un horaire variable, il faut prévenir toute la patientèle des dangers que pose la somnolence au volant.
  • Les personnes aux prises avec une AOS légère sans somnolence diurne et qui affirment n’avoir aucune difficulté à conduire présentent un faible risque d’accident et devraient pouvoir conduire en toute sécurité tout type de véhicule automobile.
  • Les personnes qui ont une AOS documentée par une étude du sommeil, qui suivent fidèlement le traitement par VSPPC (au moins quatre heures d’utilisation par jour pendant 70 % des jours dans une période d’au moins 30 jours se situant au cours des 90 jours précédents; Ayas et coll., 2014) ou qui ont subi avec succès une intervention chirurgicale des voies respiratoires supérieures doivent pouvoir conduire en toute sécurité tout type de véhicule automobile.
  • Les personnes qui ont AOS variant de moyenne à sévère, documentée par une étude du sommeil, qui ne suivent pas fidèlement le traitement et que les médecins traitants considèrent à risque accru d’accident ne doivent pas conduire. 
  • Les personnes qui présentent un indice apnée–hypopnée élevé, surtout associé à une insuffisance cardiaque droite ou à une somnolence diurne excessive, doivent être considérées comme à risque élevé d’accident.
  • Les personnes atteintes d’AOS, qui semblent suivre fidèlement le traitement, mais qui sont impliquées par la suite dans un accident de la route dont elles sont responsables, ne doivent pas conduire pendant au moins un mois. Pendant cette période, il faut réévaluer leur observance du traitement. Après la période d’un mois, elles peuvent ou non conduire : tout dépend des résultats de la nouvelle évaluation. 
  • Les recommandations quant à l’aptitude à conduire varient d’une province ou d’un territoire à l’autre selon les règlements de sécurité au volant.

9.4 Narcolepsie

La narcolepsie est caractérisée par des accès récurrents de sommeil souvent subits, irrépressibles et qui durent habituellement de 10 à 15 minutes. La narcolepsie peut être conjuguée à une cataplexie (perte bilatérale subite du tonus musculaire) pendant l’éveil, à une paralysie du sommeil (incapacité générale de bouger ou de parler pendant la transition du sommeil au réveil) et à des hallucinations d’apparence réelle au début du sommeil.

Même s’il existe un lien clair entre le risque d’accident et la narcolepsie, il n’a pas été étudié aussi bien que celui qui existe entre le risque d’accident et l’AOS.

Jusqu’à 40 % des personnes atteintes de narcolepsie peuvent déclarer avoir été impliquées dans un accident de la route lié au sommeil. Leur risque d’accident est environ quatre fois plus élevé que celui des groupes témoins (Aldrich, 1989). On croit que les personnes atteintes de cataplexie et de paralysie du sommeil présentent le plus grand risque d’accident en raison de l’imprévisibilité relative de ces symptômes. Dans un registre en ligne de personnes atteintes de narcolepsie (subissant des évaluations tous les six mois), près de 20 % signalaient un accident ou un quasi-accident (Ohayon et coll., 2018). La jeunesse, un score élevé sur l’échelle de somnolence Epworth et la présence d’un trouble psychiatrique étaient associés à une probabilité accrue d’accident ou de quasi-accident. Il y a peu d’information au sujet de l’effet du traitement sur le risque d’accident.

9.4.1 Recommandations sur la conduite à l’intention des personnes atteintes de narcolepsie

  • Les personnes chez lesquelles on a diagnostiqué une narcolepsie, dont le diagnostic est confirmé par une étude du sommeil et un test itératif de latence d’endormissement et qui ont eu des épisodes non contrôlés de cataplexie au cours des 12 derniers mois (avec ou sans traitement) ne doivent conduire aucun véhicule. 
  • Les personnes chez lesquelles on a diagnostiqué une narcolepsie, dont le diagnostic est confirmé par une étude du sommeil, un test itératif de latence à l’endormissement et qui ont eu des attaques de sommeil diurnes non contrôlées ou de paralysie du sommeil au cours des 12 derniers mois (avec ou sans traitement) ne doivent conduire aucun véhicule.
  • En général, les personnes atteintes de narcolepsie ne doivent pas conduire de véhicule commercial, car elles peuvent avoir de la difficulté à gérer la conduite sur de longues distances sans hypersomnolence importante. Celles qui peuvent maintenir un cycle sommeil–éveil régulier peuvent toutefois conduire des véhicules commerciaux le jour, sur de brefs parcours.

9.5 Autres troubles du sommeil

Même si l’insomnie de courte et de longue durée peut constituer la catégorie la plus fréquente de troubles du sommeil, il n’y a pas de données qui établissent un lien entre une augmentation du nombre des accidents de la route et l’insomnie.

Les troubles du sommeil liés au rythme circadien, qui découlent d’une perte de sommeil attribuable à la perturbation du cycle du sommeil quotidien causée par le travail par quarts ou le « décalage horaire » causé par des vols transméridiens, sont courants et il est facile de les associer à de nombreux accidents.

Là encore, il n’y a toutefois pas de données claires qui établissent ces liens.

C’est pourquoi les médecins ne peuvent formuler que des recommandations générales sur les dangers de la somnolence au volant attribuable à ces troubles du sommeil.


Références

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Alkan U, Nachalon Y, Weiss P, Ritter A, Feinmesser R, Gilat H, et al. Effects of surgery for obstructive sleep apnea on cognitive function and driving performance. Sleep Breath. 2021;25(3):1593-600.

American Academy of Sleep Medicine. International classification of sleep disorders – third edition (ICSD-3). Darien (IL): The Academy; 2014.

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Komada Y, Nishida Y, Namba K, Abe T, Tsuiki S, Inoue Y. Elevated risk of motor vehicle accident for male drivers with obstructive sleep apnea syndrome in the Tokyo metropolitan area. Tohoku J Exp Med. 2009;219(1):11-6.

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Autres ressources

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